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« Avez vous trouvé ? »
« Oui, Monsieur »
« Parfait ! »
Le « Prenez place !» qui suivit s’apparentait plus à un ordre qu’à une invitation courtoise.
La voix de l’homme, tout comme son attitude avaient quelque chose de protocolaire. Chacun de ses gestes transpirait l’austérité jusque dans la manière de se déplacer : une sorte de chorégraphie lente qui ne pouvait s’expliquer par la simple prudence due à sa cécité partielle.
Surmontant son mal-être soudain, la jeune femme se dirigea vers un fauteuil.
« Non…! Ici » fit-il sur le même ton péremptoire désignant la méridienne de velours grenat qui trônait au milieu de la pièce.
Elle s’y assit ou plutôt s’y tassa, buste droit, jambes serrées et s’empressa d’ouvrir le livre dont elle n’avait même pas regardé le titre.
« Pas ainsi ! » Dit le vieillard en approchant un fauteuil. Il s’y installa confortablement, ses mains noueuses croisées sur le pommeau de la canne comme un vieux maître à danser étayant son autorité.
La jeune femme leva un regard interrogateur vers son hôte.
« Vous devez vous offrir à la lecture, vous ouvrir aux mots, les accueillir avant même que vos lèvres ne les prononcent.
Tournez-vous de trois quarts et allongez-vous … »
« Mais… »
« Je vous rémunère généreusement pour une prestation dont j’exige l’exécution fidèle et conformément à mes critères ! Comprenez-vous cela ? »
La jeune femme s’exécuta : inutile de discuter avec ce vieux barbon autoritaire et misogyne !
Elle prit une profonde respiration et baissa le regard vers l’ouvrage :
La philosophie dans le boudoir ou les Instituteurs immoraux
Marquis de Sade.
Un frisson désagréable parcourut son échine tandis qu’une vilaine petite sueur perlait son front lorsque son regard ricocha sur le sous-titre :
Dialogues destinés à l’éducation des jeunes demoiselles …
Elle comprit alors le choix prémédité que le vieil homme avait fait de ce livre en parfaite adéquation avec le lieu, son décor baroque, ses éclairages tamisés et la personnalité du propriétaire.
La jeune femme sentait le regard appesanti du vieillard scruter son corps et dévoiler son dos.
Elle se précipita dans la lecture comme on se jette à l’eau : avec cette hâte désespérée d’en finir au plus vite.
Les minutes s’écoulaient. Seule sa voix brisait le silence.
Peut être l’homme s’était il endormi ? Peu à peu, elle oublia jusqu’à sa présence et s’absorba dans une lecture plus affirmée et plus fluide.
‘’ Dolmancé.
…Rapproche-toi plus que jamais de ta victime avant que de l'immoler…
Livrons-nous donc hardiment et sans cesse à la plus insigne fausseté ; regardons-la comme la clé de toutes les grâces, de toutes les faveurs, de toutes les réputations, de toutes les richesses, et calmons à loisir le petit chagrin d'avoir fait des dupes par le piquant d'être fripon.’’
C’est alors qu’elle sentit un étrange frôlement remonter tout le long de sa colonne vertébrale. Quelque chose de froid et d’inhumain s’emparait de sa peau jusqu’à hanter sa chair.
Le contact glacial et acéré d’un objet dans sa nuque la fit sursauter et, d’instinct, elle se retourna.
Le vieil homme était toujours assis tout près d’elle, une esquisse de sourire énigmatique sur les lèvres.
« Chut !.... Poursuivez… » Dit il d’une voix soudain radoucie.
Elle réprima un haussement d’épaules : cet homme était un original ou un fou que l’âge égarait. En dépit de son comportement étrange, elle jugea qu’il n’était pas en état physique de l’agresser ou de lui nuire d’une quelconque manière.
Elle reprit sa mission : lire encore, lire, obstinément...
Le vieil homme poursuivait son énigmatique manège avec une dextérité surprenante, maniant avec une précision machiavélique sa canne.
Insidieusement il en fit glisser la pointe dans le décolleté de sa robe ; exacerbant à outrance l’échancrure jusqu’à la naissance de la poitrine.
« N’ayez crainte ! » dit-il en courtisant à distance la gorge satinée puis, toujours armé de ce substitut de main, il redessina à travers le tissu léger les aréoles avant de jeter son dévolu sur la pointe des seins qui, aussitôt se dressèrent sous la stimulation acérée..
« Poursuivez… Mais poursuivez donc !»
‘’ Dolmancé : Il est très doux de scandaliser ; il existe là un petit triomphe pour l'orgueil qui n'est nullement à dédaigner : je vous l'avoue, mesdames, c'est une de mes voluptés secrètes : il est peu de plaisirs moraux plus actifs sur mon imagination’
Par une étrange alchimie les mots du livre prenaient vie et entraient en résonance avec ce trouble grandissant dont le vieil homme ensemençait sa peau, sans jamais qu’il ne la touche de ses propres mains.
L’homme s’était levé et, tel un fleurettiste, il poursuivait méthodiquement son œuvre mouchetée.
Désormais, la pointe de sa canne soulevait l’ourlet de sa robe et relevait celle-ci jusqu’au nombril. Sans transition, le vieillard fit pivoter habilement la canne jusqu’à ce que le pommeau entre en contact avec le corps de la jeune femme.
Un pommeau d’argent finement ciselé et dont la rotondité faisait oublier la froideur du métal pour n’être plus qu’un objet d’adoubement glissant sur son corps.
« Détendez-vous, ne pensez plus à rien » souffla le vieil homme et, joignant le geste au murmure, il écarta avec une douce violence les cuisses de la lectrice avant de poser le pommeau sur le renflement de son mont de Vénus.
Posément, avec une sorte d’application artistique, il fit glisser le pommeau dans l’entrejambes de la jeune femme et s’activa dans un mouvement de va en vient comme s’il voulait en polir la protubérance.
Le livre glissa des mains de la jeune femme qui ferma les yeux, domptée par l’étrange caresse qui ployait son corps offert en pâture aux fantasmes du vieil homme.
Le plaisir naissait entre ses jambes et elle ne pouvait le réprimer. Elle se livra dans un épanchement humide qui coulait abondamment et détrempait le fond de sa petite culotte de coton.
Elle ne pensait plus et toutes ses peurs s’étaient envolées sous l’emprise magnétique de ce plaisir inondant son corps devenu non défendant.
Elle oublia le temps, le lieu et la situation jusqu’à se fondre, se confondre et n’être plus que cette volupté jouissive suspendue aux mouvements funambules d’un pommeau.
Au bout de quelques minutes, le plaisir l’emporta dans un incoercible cri fauve.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, son regard croisa celui du vieillard plongé dans la contemplation de son extase féminine. L’homme se tenait debout, appuyé sur cette canne aux pouvoirs ensorceleurs. Son visage était impénétrable mais ses yeux avaient perdu leur couleur délavée et un petit éclat miroitait au centre des pupilles.
Le vieillard glissa une main dans la poche de son peignoir en en sortit une enveloppe cachetée qu’il tendit dans un silence lourd à sa lectrice avant de pointer sa canne en direction de l’entrée de l’appartement.
La jeune femme se releva, ajusta sa robe et remit de l’ordre dans ses cheveux avant de s’éclipser sur la pointe des pieds.
La rue l’accueillit dans un vertige de lumière, un déluge de bruits et un flot ininterrompu de circulation.
Elle avançait, telle une somnambule parmi la foule des passants, son corps flottait encore et sa tête était toujours embrumée.
Elle éprouvait bien des difficultés à se réapproprier son individualité, encore imprégnée profondément par cette expérience insolite qui avait moins prostitué sa chair qu’elle n’avait dévoyé son âme sur les chemins tortueux de la perversion.
Récit imaginé et mis en scène par Elise.
Les décors sont signés Roger Harth
Les costumes cousus main par Donald Cadwell…
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