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Keira Knightley

                                                                                         Keira Knightley

 

 

La gare avait fermé juste derrière lui.

Transi de froid, l'homme consulta sa montre puis haussa les épaules : à quoi bon ? Dans cette banlieue le temps était en quarantaine...

Il espérait le dernier train comme on guette un mirage.

Le " toum-toum" assourdi de l'acier des roues à chaque jonction des rails le tira de son engourdissement tandis que la silhouette fantomatique d'un train se profilait dans le brouillard.

 

Il s'empressa de monter à bord.

Le convoi ne comportait que trois wagons: le premier était vide, le deuxième idem; quant au troisième il semblait l'être tout autant mais en s'avançant, l'homme aperçut tout au fond une femme qui somnolait, tête appuyée contre la vitre embuée, un livre ouvert sur les genoux.

 

Il choisit une place en léger décalé avec un angle de vue offrant toute discrétion.

La somnolente ne possédait pas cette magnificence provocante qui impose son diktat au regard. Dans l'innocence de l'abandon, elle avait la beauté gracieuse des aquarelles dont la transparence invite à voyager par delà l'apparence ...

 

Il découvrit ses talons-aiguille surmontés de longues jambes gainées de soie puis la lisière de ses genoux sur lesquels était sagement rabattue une petite robe en jersey de laine.

 

En dépit d'une position détendue, la voyageuse conservait cette aristocratie naturelle qui ne s'apprivoise qu'à distance.

Le noir dont elle était entièrement vêtue n’avait pas sur elle la rugueuse austérité de l'affliction mais l'élégance ténébreuse des secrets fardés.

 

Un détail -ou plus exactement un raffinement délicieusement suranné- subjuguait l'homme: c'était une voilette cascadant en transparence mouchetée jusqu'à la commissure des lèvres.

De longues minutes durant, son regard louvoya à travers le fin maillage de tulle, cueillant les éclats de chair comme autant d'infimes pièces d'un puzzle

 

Obstinément, scrupuleusement, il s'attaquait à ce labyrinthe d'entrelacs mais à chaque fois qu'il croyait toucher au but, sa vue se brouillait et le visage de cette femme lui échappait, inexplicablement...

 

Un léger soupir et, au grand dam de l'homme , la femme s'éveilla.

Insensible à la présence masculine , l'inconnue se redressa et posément, reprit sa lecture

comme si de rien n'était...

 

 

Renouant avec le bruit et la fureur urbaines, le train arrivait à destination.

 

Lorsque la voyageuse se leva , il croisa deux grands yeux clairs mélancoliques et ne sût que s'incliner

dans un salut muet.

 

Déjà, elle s'éloignait sur le quai , escortée par le halo doré des réverbères.

Il suivit des yeux la fragile silhouette jusqu'au bout du quai :

personne ne l'attendait...

 

Alors, il se mit à courir comme un fou mais elle s'était évanouie dans la nuit, disparaissant à sa vue

tout comme elle avait surgi : par enchantement...

 

Il ne saurait jamais rien d'elle: ni d'où elle venait , ni où elle allait et encore moins qui elle était...

 

Elle emportait tous ses secrets.

Il ne lui restait que l'amertume des regrets ...

 

A son tour, Paris happa l'homme et le cours du temps reprit ...

 

Quelques heures plus tard; il entrait au Grand Palais où se tenait l'exposition consacrée à

Edward Hopper.

Au détour d'une salle, aimanté par une force invisible, l'homme se dirigea droit vers le tableau :

 

"Compartiment C, car 293. E.".

 

Incrédule, chancelant, ébloui et désespéré en même temps il reconnût " sa " mystérieuse !

 

Elle avait relevé sa voilette et, dans ce train venu de nulle part ,

indifférente au monde, elle poursuivait sa lecture solitaire...

 

(Elise)

 

Compartiment C, voiture 193. Edward Hopper. 1938. Collectio

                                     Compartiment C, voiture 193. Edward Hopper. 1938. Collection I.B.M. New-York.

 

 

 

Jeudi 10 janvier 4 10 /01 /Jan 00:25
- Par Elise - Publié dans : elisetmoi - Communauté : les blogs persos
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