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J’ignorais l’apparence que j’offrais et je dois avouer qu’il m’était impossible de m’en faire ne serait-ce qu’une vague idée…
Tout frais sorti de la chaîne de montage, sur le tapis déroulant qui m’emportait vers mon destin, j’apercevais mes alter ego bien alignés comme de vaillants petits soldats mais la diversité de leurs costumes, de leurs couleurs, de leurs formes et de leurs statures ne m’éclairait guère sur ma propre constitution…
Je conserve le vague souvenir d’une main sans complaisance me saisissant, m’examinant rapidement sous toutes les coutures avant qu’une autre main tout aussi preste ne m’emballe illico dans un joli petit carton rose. A défaut de pouvoir remercier mon créateur, je bénissais le concepteur du packaging qui avait aménagé une fenêtre en cellophane à travers laquelle défilaient des parcelles furtives du
monde auquel je venais de naître.
J’ai du faire un long voyage dans les soutes sombres d’un avion, supporté des turbulences qui me donnaient mal au cœur puis transité via un tarmac à la fébrilité de ruche avant de connaître les
aléas d’un acheminement routier.
Je me suis ainsi retrouvé dans un lieu nommé "Love Center", sagement aligné avec quelques frères d'aventure sur une étagère en une parade immobile et sous les feux des spots focalisant l’attention du chaland bien intentionné.
J’ai vite assimilé la nature même de ma fonction : j’étais un jouet mais un jouet particulier réservé aux adultes.
Mon succès fût immédiat et mon séjour en ce magasin de courte durée.
J'ai vu défiler devant moi des dizaines d’humains : des hommes seuls dont le regard brillait lorsqu’ils m’apercevaient, quelques femmes aussi ; moins hésitantes, moins rêveuses et qui paraissaient bien mieux que la gent masculine « connaître leur affaire ».
J'avoue avoir éprouvé une tendresse particulière envers tous ces couples enlacés, échangeant des coups d’œil coquinement complices et lorsque l’un d’entre eux a jeté son dévolu sur ma petite personne, je n’ai plus redouté ni le statut périlleux ni l'incertitude réservés aux jouets …
J’étais bien dans mon petit carton rose praline et cela faisait tout drôle de se sentir ainsi convoité et choyé par mes nouveaux propriétaires.
Ils m’ont libéré de ma prison de papier avec délicatesse, à l’évidence ravis de ma forme stylée et de mon bel habillage doré.
Ils m’ont manipulé comme une petite chose précieuse et unique.
J’étais là, tout près d’eux, mœlleusement niché dans les replis de la couette, partageant
leur intimité d’alcôve , bercé par leurs murmures et leurs soupirs à tel point que ma petite pile s’est mise en route tant j’étais émoustillé par cette vision.
Soudain, je me suis senti partir et quelques secondes après je glissais lentement sur le velouté d’un rebondi de chair oblongue partagée en deux lobes rosés aussi doux qu’une peau de bébé, butinant les commissures de ce fruit dont je ressentais la maturation progresser inéluctablement à chacun de mes passages.
La main masculine me guidait dans cette flânerie charnelle avec une telle expertise que j’ai compris que je n’étais vraisemblablement pas le premier à m’aventurer sur ces terres là !.
J’en ai été quelque peu contrarié mais j’étais sûr de convaincre tant ma résistance et ma vaillance à l’œuvre faisaient ma renommée.
Alors je suis passé en mode vibratoire supérieur et aussitôt j’ai entendu les gémissements de cette femme ainsi livrée à mon pouvoir de persuation
Elle m’a offert son ventre, ouvert son intimité puis, guidé par l’homme, je me suis immiscé dans le défilé de son entrejambes. Il y faisait sombre mais je n’ai pas eu peur.
Cette concavité était chaude et humide et à chaque va et vient, j’éprouvais l’élasticité des parois qui m'enserraient et me relâchaient tout à tour dans une alternance rapidement jouissive.
Ah : je n’étais pas peu fier de démontrer ainsi mes capacités et je dois bien vous confier combien que je me rengorgeais de mon évidente supériorité endurante sur le membre masculin, quand bien même cette excellence ne soit qu’artificielle ...
Je ronronnais de plus en plus fort, j’exultais, je triomphais presque et je voyais déjà se profiler ma revanche.
Puis, j’ai pas compris ce qui m’arrivait : entre eux deux et moi, le courant ne passait plus et ma pile s’est arrêtée d’un coup.
Elle m’a sorti de son nid douillet et je me suis retrouvé, réduit au silence, orphelin de leurs plaisirs, délaissé, relégué tout au fond du lit…
Impuissant et rageur, j’ai du assister à la suite de leurs ébats amoureux…
J’ai vu la richesse et la variété de leurs caresses, j’ai entendu leurs gémissements, j’ai subi les soubresauts traîtres du matelas lorsque leurs corps étroitement arrimés sont entrés dans la spirale
de l’indicible .Jusqu'à devoir supporter le cruel exil, loin de ces plaisirs charnels que la nature a inventé mais que les humains ont appris à ciseler en un fabuleux enrichissement du corps de l’âme t du coeur réunis.
Oui … je n’étais qu’un objet…
Hélas, je n’étais qu’un jouet , corvéable à souhait et irréductiblement soumis à la fantaisie capricieuse d’un couple.
Avec le temps, je me suis résigné à ma condition servile ainsi qu'à mon utilisation sporadique.
Peu à peu j'ai connu les affres de la rivalité avec l'arrivée de concurrents plus jeunes, plus fringants, plus performants...
Aujourd’hui nous cohabitons intelligemment dans une cachette nuptiale, guettant impatients, le jour et l'heure d'une éphémère gloire.
Etant l’aîné de la petite tribu ludique, j’ai même reçu un prénom en baptême et de cela je n’en suis pas peu fier !
Allez, je vous laisse.... et avec regret je retourne à mon modeste sort : moi le jouet , jouet de mes propres illusions !
( Elise)
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