SANS DESSUS......DESSOUS.......


Plus d'une heure qu'elle piétinait, corsetée par cette foule compacte qui s'agglutinait dans la librairie.
Charroi de minutes qui s'amoncelaient comme autant d‘alluvions dans cette attente interminable vouée à la promiscuité moite des corps lestés de chaleur.
Mais que diable venait -elle faire dans cette galère, elle qui n'avait pourtant par l'âme d'une groupie...Quel était donc la nature de cette curiosité qui la poussait ainsi à vouloir confronter l'être de chair avec le personnage qu'elle avait construit et imaginé au fil de ses lectures ?
Elle mesurait tous les risques de cette confrontation avec la réalité ; à l'instar de ces livres dont l'illustration brise le rêve...

 « Mademoiselle ? »
Elle sursauta au son de cette voix grave qui l'interpellait.
D'abord, elle ne vit que ses mains : longues et racées: des mains faites pour cueillir les mots, pour les apprivoiser, les caresser et les ciseler jusqu'à la pureté diamantine.
« Pour qui ? » Demanda-t-il sans même relever la tête tant il semblait harassé par ce rituel.
Elle lui tendit le livre dont la jaquette glacée portait l'empreinte déliquescente de ses doigts humides de transpiration.
«  Pour moi » répondit -elle dans un souffle d'évidence, tandis qu'elle se penchait, libérant par ce mouvement une cascade de fragrances suaves.
Instantanément, l'homme releva la tête et  leurs regards s'aimantèrent l'un à l'autre ; juste quelques secondes dont la fugacité n'avait d'égale que la violence de l'intensité.
Il avait les yeux bleu- gris comme un ciel d'été avant l'orage, lorsque l'azur se teinte d'encre dans cette mixité équivoque de tonalités dont on ne saurait dire laquelle des deux l'emportera sur l'autre...
Dans la fulgurance de l'instant, leurs regards se jaugèrent entre défi et séduction ....
Jusqu'alors en suspens, la plume or de son stylo, comme subitement inspirée, se mit à courir nerveusement sur le papier.
« Merci infiniment » dit -elle avec une gracile flexion du cou avant de tourner prestement les talons.
Lorsqu'il releva la tête, il ne vit qu'une fine silhouette que la foule engloutissait déjà tandis qu'elle sentait la brûlure de son regard au creux de sa nuque et de ses reins...
« A mon tour ! » glapit une voix  aigrelette...
L'auteur réprima un soupir puis reprit les dédicaces ; la tête ailleurs ...

Elle fit le chemin du retour d'un pas allégé ; un sourire songeur sur les lèvres...
Rentrée chez elle et en dépit de la curiosité qui la taraudait, elle se dévêtit entièrement dans un lent effeuillage de parade amoureuse.
Enfin nue, elle s'allongea sur le lit et ferma les yeux en caressant la couverture de ce livre qui portait désormais les empreintes de cet homme...
Profondément troublée par tous ces possibles aux fragilités embryonnaires un instant inscrits en marge du destin, ses mains se mirent instinctivement à gâter ses seins puis son ventre et ses cuisses dans une divagation sensuelle que ses doigts fouineurs conclurent en orgasme flamboyant...

Toujours hantée par cette présence inconnue, elle ouvrit l'ouvrage à la page de garde et laissa glisser son index encore tout humide des plaisirs dispensés sur les aspérités du vélin. Ce n'est qu'alors qu'elle lût la dédicace.
« A... Elle ! » Avait -il juste écrit ou plutôt crié...

Par le biais de son éditeur, l'écrivain reçut quelques jours après une petite enveloppe- bulle qui embaumait. Immédiatement ce parfum le plongea dans une étrange nostalgie.
A l'intérieur, il découvrit une mèche de cheveux qu'il huma longuement avant de l'enrouler délicatement autour de ses doigts.
Un bristol l'accompagnait :
« Des bribes de moi
En guise de marque-pages »

L'homme se sentait soudain paradoxalement attendri et tout émoustillé : fébrilement, il se mit au clavier de son ordinateur ; il tenait là à la fois l'héroïne et la trame de son futur roman : là même où il allait imaginer la suite de leur histoire...

(Elise) 

Mar 20 mai 2008 19 commentaires
Joli texte bien illustré.
Bravo et bonne continuation :-)
club479 - le 20/05/2008 à 06h11
Fiction ou réalité ? Très beau (texte et photos)... Tu devrais écrire aussi Elise, à moins que... Baisers sur tes courbes parfumées.
Valmont - le 20/05/2008 à 08h54
je me suis délectée de tous ces mots que tu as su si bien coucher sur ce post, plus qu'une rencontre sensuelle, j'ai ressenti beaucoup de poèsie dans ce texte et je l'ai lu avec un érotique ravissement..........
Bravo Elise toute aussi belle que d'une écriture exquise!!!
Bisouxx de Céline
Céline - le 20/05/2008 à 09h34
La beauté de tes écrits est tout aussi inimitable que la sensualité qui se dégage de ces tableaux vivants.

La contrefaçon n'a pas prise sur vous !

Bises

Ile

Libertango - le 20/05/2008 à 09h44
Pour l'avoir vécu, le piratage est toujours une " petite " épreuve difficile à vivre.

Avec vous.
Laurent Morancé - le 20/05/2008 à 09h59
Un petit gout agréable de Odette Toulemonde..
Belle façon de décrire un nouveau sujet qui arrive !
du quotidien comme support de l'imaginaire
belle relation aussi !
il est tellement aussi facile d'être ainsi dans la relation chaleureuse que celle d'après, de mauvaise humeure !
Si tous les écrivains savaient ce que deviennent leurs dédicaces...

Bises
Thomas Déodate - le 20/05/2008 à 10h52
ça sent bon le beau roman qu'on lit sur une plage au soleil couchant en ecoutant le ressac des vagues...
oxanne - le 20/05/2008 à 20h29
Je pense qu'il y a beaucoup de vrai dans ton récit. En tout les cas, celui çi nous transporte, on le lit du début à la fin sans aucune lassitude.
Tu as l'art de manier la plume et quelle plume...à l'image de son auteure.
bisoux doux
Choupa
choupa - le 20/05/2008 à 22h39
Douceur et abandon... une très belle photo !
patrick - le 21/05/2008 à 06h32
Coquin et cochon juste comme il faut , une ecriture comme a l'habitude d'elise, les mots choisis, un vrai plaisir a lire de bon matin !!, bises des vertigiens et bonne journée a vous
vertige - le 21/05/2008 à 07h25